Le canal historique

Rotonde, par Nicolas Ledoux, XVIIIᵉ siècle

L’eau est une mémoire pour l’homme. Elle le baigne, qu’il y soit plongé ou qu’il la contemple. Elle s’infiltre en lui, dans toutes les fibres de son corps et de son âme. Parfois, elle s’aventure au delà de ce qu’est cet homme démuni devant son immensité intime. Au delà des zones familières du passé et du présent, vers les domaines qui se définissent comme l’avenir parce qu’ils sont inconnus.

Comme ces femmes qui font connaître à leurs amoureux ce qu’ils sont — qui ils sont, pour les plus aimantes d’entre elles. Les échanges liquides, salive, sueur, émanations et mots d’amour, sont-ils au principe de ces révélations ?

En passant sous ses rues, le canal de la mémoire a fait confluer vers lui la sueur, les larmes et le sang du peuple de Paris.
Gavroche, ses rêves et ses espérances et ses colères ont gagné le cœur de la ville, par une capillarité séculaire.
Tu contemples la surface. Miroir. Au delà sommeille la clameur apaisée des générations passées, prête à émerger. À transfuser à la jeunesse la sève des révolutions à venir.

Et dans les époques intermédiaires, coule l’écho qui suit en sinuant « l’inflexion des voix chères qui se sont tues ».

En navigant sur le canal Saint Martin, sous la voûte qui vous conduira au bassin de l’Arsenal, vous ressentirez une profonde et paisible solitude, entre l’eau et les pierres, uni à l’obscurité, en un mouvement calme.

Au-dessus de vous et de votre méditation, Paris laisse filtrer vers ses profondeurs la substance du passé.

(janvier 1948 – août 2011 – janvier 2019 – octobre 2020)