
« La religion sera toujours une nécessité politique. Vous chargeriez-vous de gouverner un peuple de raisonneurs ! Napoléon ne l’osait pas, il persécutait les idéologues. Pour empêcher les peuples de raisonner, il faut leur imposer des sentiments. Acceptons donc la religion catholique avec toutes ses conséquences. Si nous voulons que la France aille à la messe, ne devons nous pas commencer par y aller nous-mêmes ? La religion, Armand, est, vous le voyez, le lien des principes conservateurs qui permettent aux riches de vivre tranquilles. La religion est intimement liée à la propriété. Il est certes plus beau de conduire les peuples par des idées morales que par des échafauds, comme au temps de la Terreur, seul moyen que votre détestable révolution ait inventé pour se faire obéir. Le prêtre et le roi, mais c’est vous, c’est moi, c’est la princesse ma voisine ; c’est en un mot tous les intérêts des honnêtes gens personnifiés. Allons, mon ami, veuillez donc être de votre parti, vous qui pourriez en devenir le Sylla, si vous aviez la moindre ambition. J’ignore la politique, moi, j’en raisonne par sentiment ; mais j’en sais néanmoins assez pour deviner que la société serait renversée si l’on en faisait mettre à tout moment les bases en question. »
C’est la duchesse de Langeais qui parle au marquis Armand de Montriveau.
Honoré de Balzac
La duchesse de Langeais
(Études de mœurs : Scènes de la vie parisienne, Histoire des treize)
Bibliothèque de la Pléiade, tome V de La Comédie humaine
p. 970
Note de Rose Fortassier :
« La duchesse exprime les idées de Balzac, qui écrit dans l’Essai sur la situation du parti royaliste : “Parmi les moyens de gouvernement, [la religion] n’est-elle pas le plus puissant de tous pour faire accepter au peuple les souffrances et le travail constant de sa vie ? […] Jésus-Christ et la Vierge, sublimes images du dévouement nécessaire à l’existence des sociétés, retiennent des populations entières dans leur voie de malheur et leur font accepter l’indigence.” » (p.1 502)