Le quartier de Restif

Restif

Avant d’aller chez la Marquise, je faisais toujours quelqu’excursion, afin de maintenir dans l’abondance mon magasin d’anecdotes […] J’allai dans le quartier, qui est comme la quintessence de l’urbanité française : ce n’est pas la cour, mais il vaut peut-être beaucoup mieux ; car il a un ton souvent meilleur ; il corrige la cour elle-même ; il lui porte la loi impérieuse de l’usage national, et la force de s’y conformer : il la siffle, si elle ne lui plaît pas, et la force à changer. Ce quartier, qui est comme le cerveau de la capitale, c’est la rue Saint-Honoré, unie au quartier du Palais-Royal. La rue Saint-Honoré ne paraît composée que de marchands : mais il est une infinité de gens de goût dans les étages supérieurs, et surtout dans les rues adjacentes. Il est même des étrangers, qui ne vivent que là, sans y demeurer. Ils quittent le matin leur demeure, au faubourg Saint-Germain, au Marais, à la Chaussée d’Antin, et le reste, pour venir dans le beau quartier manger, faire leur partie, causer, se promener ; ils ne rentrent chez eux que le soir, et ne connaissent du Marais, du faubourg Saint-Germain, ou du quartier de Montmartre, que leur appartement. 

Restif de La Bretonne 
Les Nuits de Paris 
Nuit 61 – L’Aveugle éclairé 
Robert Laffont, Bouquins, p. 735