
À qui sait lire fructueusement Machiavel, il est démontré que la prudence humaine consiste à ne jamais menacer, à faire sans dire, à favoriser la retraite de son ennemi en ne marchant pas, selon le proverbe, sur la queue du serpent, et à se garder comme d’un meurtre de blesser l’amour-propre de plus petit que soi. Le Fait, quelque dommageable qu’il soit aux intérêts, se pardonne à la longue, il s’explique de mille manières ; mais l’amour-propre, qui saigne toujours du coup qu’il a reçu, ne pardonne jamais à l’Idée. La personnalité morale est plus sensible, plus vivante en quelque sorte que la personnalité physique. Le cœur et le sang sont moins impressibles que les nerfs. Enfin notre être intérieur nous domine, quoi que nous fassions. On réconcilie deux familles qui se sont entretuées, comme en Bretagne ou en Vendée, lors des guerres civiles ; mais on ne réconciliera pas plus les spoliés et les spoliateurs, que les calomniés et les calomniateurs. On ne doit s’injurier que dans les poèmes épiques, avant de se donner la mort.
Honoré de Balzac
Les paysans
(Études de mœurs : Scènes de la vie de campagne)
Chapitre VI – Une histoire de voleurs – p. 138, dans l’édition de la Pléiade, volume IX de la Comédie humaine.
La chute de ce chapitre :
L’audace avec laquelle le Communisme, cette logique vivante et agissante de la Démocratie, attaque la Société dans l’ordre moral, annonce que, dès aujourd’hui, le Samson populaire, devenu prudent, sape les colonnes sociales dans la cave, au lieu de les secouer dans la salle de festin.
p. 141