Ce qui m’agace, ce n’est pas l’erreur, mais le cliché

Junger

Ce qui m’agace, ce n’est pas l’erreur, mais le cliché, le remâchage de phrases qui, jadis, du temps où c’étaient de grandes paroles, ont mû le monde entier. 

p. 95

Ernst Jünger, 

Eumeswil, 

traduit de l’allemand par Henri Plard

Dans un âge de déclin où l’on considérait comme glorieux d’avoir prêté la main à la destruction de son propre peuple, on ne pouvait s’étonner de voir aussi couper les racines du langage, et ceci, plus qu’ailleurs, à Eumeswill. La perte de l’histoire et la désagrégation du langage agissent l’une sur l’autre ; les Euménistes en firent leur tâche. Ils se sentaient appelés, d’une part à défeuiller le langage, de l’autre à porter l’argot au pinacle. C’est ainsi qu’en bas, dans la ville, sous prétexte de faciliter l’usage de la parole, ils dérobèrent au peuple sa langue, et avec elle la poésie, tout en dressant sur leurs hauteurs leurs figures de gargouilles. 

L’agression contre le langage né des siècles et la grammaire, contre l’écriture et le signe fait partie de la simplification entrée dans l’histoire sous le nom de révolution culturelle. Le premier État planétaire projetait son ombre au-devant de lui. 

p. 110