
C’était un des centres de Paris. Il y en avait bien d’autres, au XIXᵉ siècle de la bourgeoisie triomphante, comme le Palais Bourbon, l’Opéra et tant d’autres. Mais à la Bourse se faisaient et se défaisaient les fortunes au moyen desquelles la ville construisait ses palais, ses hôtels particuliers, ses prisons et ses bordels.
Aujourd’hui, la Bourse, où s’échangeaient les valeurs, a perdu son usage. Les actions, obligations, titres et autres produits dérivés se vendent et s’achètent dans les multiples salles des marchés des institutions financières. La corbeille autour de laquelle hurlaient les agents de change, au-dessus de laquelle un vaste tableau noir recevait, en inscriptions à la craie blanche, les valeurs des titres telles que les déterminait la loi de l’offre et de la demande exprimée à hauts cris spéculatifs, cette corbeille dont De Gaulle contestait quelque rôle que ce fût dans la conduite des affaires de la France, cette corbeille devenue un mythe est remplacée par des réseaux invisibles, du même genre de ceux de l’internet. Mais secrets.
En face du Palais Brongniart, affecté désormais aux événements événementiels des publicitaires, siège l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). En face mais en biais.

En traversant la rue, vous tombez sur le siège de l’Obs, nouveau nom du Nouvel Observateur, qui fut le nouveau nom de France Observateur. Ce titre prestigieux est la propriété de BNP. Ce n’est pas BNP Paribas, pas la Banque de Paris et des Pays-Bas : c’est Berger, Niel, Pigasse. Un seul des trois est un banquier, Pigasse. Les autres ont acquis leur fortune autrement mais ils sont les propriétaires, entre autres du quotidien Le Monde, de l’Obs, de Rue 89, Télérama, Courrier International et La Vie. BNP propriétaire de la vie…
Ce magazine, La Vie, avait naguère un autre titre : La Vie Catholique. Changer le titre, pour ses éditeurs, avait sans doute une motivation profonde, sinon impénétrable. Les exégètes de ces saintes écritures sont réduits aux spéculations. Ont-ils voulu abandonner une référence trop voyante à la hiérarchie du Vatican ? Ont-ils voulu signifier, en creux, qu’il était inutile de préciser que la vie est catholique de toute éternité ?
Les journalistes de l’Obs, qu’ont-ils désormais à observer ? Les responsables de l’hebdomadaire, fatigués sans doute de commenter des faits qui ne leur plaisent pas assez, ont annoncé à l’occasion du changement de nom, qu’ils voulaient « créer l’information plutôt que la suivre ». Ce baptême trace tout un programme.

En face, les journalistes de l’Agence France Presse (AFP) s’efforcent, eux, de traquer les faits et de les livrer, en « grossistes de l’information » à leurs confrères de tous les médias. En laissant le soin à ceux qui en ont la possibilité et le courage, de les confronter à d’autres faits, à des analyses et des décryptages. Et de les commenter à leur guise.
Le 28 novembre 2014, France Info donnait des nouvelles de la valeur des actions de la société Hermès International. « Depuis le 20 octobre, annonçait la radio de service public, le titre du célèbre maroquinier s’est envolé de plus de 15 % et, vendredi, il a poursuivi sur sa lancée. Le cabinet d’études Bryan Garnier est passé de “Neutre” à “Achat” en relevant son objectif de cours à 305 euros, soit un potentiel de près de 15 % pour Hermès International. Une recommandation qui a également profité à Kering et LVMH. »
Comment ne pas voir dans ce cabinet d’études une version moderne du fantastique Palma dont Balzac décrit l’activité boursière, mystérieuse et déterminante dans La Maison Nucingen ?

Après les bouleversements de l’Histoire, les guerres et les révolutions, devant l’ancienne Bourse, bien du monde est là, à sa nouvelle place, où les événements peuvent se répéter mais sous forme de farce.
Depuis cette visite à la Place de la Bourse, en 2014, bien des choses ont changé dans le monde des propriétaires des journaux. Mais ceci est une autre histoire.
janvier 1948 – novembre 2014 – mars 2019 – juillet 2022