
décembre 2003
Comme elle est longue, l’histoire de la Banque de Paris et des Pays-bas ! Elle semble vouloir cacher, une série interminable de turpitudes derrière un nouveau nom, bien moderne, Paribas. Et sur cette place, à la place même du Marché Saint-Honoré, elle s’est construit un siège futuriste où le verre affiche une transparence trop polie pour être honnête. Quand le passant voir tout au travers des vitres ostensibles, il ne voit rien, il n’y a rien à voir? Tout est si invisible qu’on se dit que, sans doute, le ver est dans le fuit.
C’est une banque : la loi lui assure le secret de ses opérations. C’est un bâtiment : le verre vous assure qu’il n’y a rien à cacher.
Cependant se reflètent sur la paroi lisse les façades alentour, qui rappellent un passé qui n’a pas encore été effacé.
Au bout de cette rue Saint-Honoré vivait Robespierre. Couvrez ce nom que je ne saurais voir !

À deux pas du siège à gogos modernes de la place du Marché-Saint-Honoré, au 5 de la rue d’Antin, la Banque majuscule, discrète et cossue, rassure les rentiers sérieux. Dans l’immeuble d’à côté, au 3, se dresse un hôtel particulier construit au début du XVIIᵉ siècle. Saisi comme bien national lors la Révolution, il fut loué à la mairie du IIᵉ arrondissement de Paris. C’est là qu’eut lieu un fameux mariage : Napoléon Bonaparte y épousa Joséphine de Beauharnais, le 9 mars 1796. Thermidor avait ouvert la voie aux prestiges malsains de l’Empire.
Le quartier moderne
« …la place du Marché-Saint-Honoré, où il faut saluer l’intervention de Ricardo Bofill, qui a redonné de l’air et de la vue à un espace public obstrué par un monstre de béton. Exit le bunker, place à un passage de verre. Dans la grande tradition des passages parisiens du XIXᵉ siècle, l’architecte de la préfabication béton (souvenons-nous du Palacio d’Abraxas, à Marne-la-Vallée, et du “Versailles pour le peuple” à Saint-Quentin-en -Yvelines) a surpris avec ce bâtiment “transparent”. »
Francis Rambert, dans Paris, sous la direction de Gilles Plazy, Flammarion, 2003, pp. 160, 161.
Le quartier, dans sa profondeur historique.

« En 1946, la place du Marché-Saint-Honoré reçut le nom de place Robespierre, décision annulée en 1950 quand la bourgeoisie française redressa la tête. Sa haine envers Robespierre n’a jamais faibli depuis Thermidor. Outre l’Incorruptible lui-même – qui logeait chez le menuisier Duplay avec sa sœur Charlotte et son frère Augustin, au bout de la rue Saint-Honoré –, d’autres acteurs de la Révolution habitaient le quartier Tuileries- Saint-Honoré : Sieyes, Olympe de Gouges, Héron, Barère dont Robespierre faisait l’éloge ambigu : “Il sait tout, il connaît tout, il est propre à tout”. Ce n’était pas que ce quartier fût spécialement révolutionnaire, mais la rue Saint-Honoré était l’axe géographique de la vie politique. Dans les années 1789-1791, le club de La Fayette et des modérés tenait ses séances dans l’ancien couvent des Feuillants, sur l’emplacement de la rue de Castiglione. La Société des Amis de la Liberté et de l’Égalité est restée dans l’histoire sous le nom de club des Jacobins, dont les terrains occupaient l’actuelle place du Marché-Saint-Honoré jusqu’à la rue Gomboust. La Constituante, la Législative et la Convention à ses débuts siégeaient salle du Manège, dans les jardins des Tuileries, vers l’abouchement de la rue Saint-Roch dans la rue de Rivoli.
[…] Après Thermidor, la Convention fit démolir les Jacobins – que Merlin de Thionville dénonçait comme “un repaire de brigands” –, et le vide ainsi créé devint pour quelque temps la place du Neuf-Thermidor.
[…] Les deux principales places du quartier Saint-Honoré, la place du Marché-Saint-Honoré et la place Vendôme, toutes différentes qu’elles sont, ont en commun d’avoir été défigurées ces derniers temps. Dans la première, un attentat urbanistique avait déjà eu lieu à la fin des années 1950 lorsqu’on avait démoli le marché construit par Molinos sous l’Empire – quatre halles, avec au milieu une fontaine alimentée par la pompe à feu de Chaillot – et construit à sa place un bloc de béton servant de caserne de pompiers et de commissariat de police. Récemment, la banque Paribas a chargé Bofill d’y édifier un nouveau bâtiment. Conscient de ce que ses colonnes creuses et ses frontons pseudo-classiques commençaient à lasser, l’architecte a conçu un édifice pseudo-high-tech, mal proportionné et parfaitement étranger à l’esprit du lieu, provoquant une glaciation de la place que la prolifération des restaurants ne parvient pas à masquer.
La place Vendôme a reçu des mains d’architectes des bâtiments publics et palais nationaux un indescriptible pavage parsemé de plots d’acier brossé, et pour son parking souterrain des entrées de bunker. Les chauffeurs qui attendent en époussetant leur limousine devant Cartier, le Ritz ou le Crédit foncier ont des costumes sombres, des lunettes noires et des allures de gardes du corps. En passant par là, il me vient toujours une affectueuse pensée pour les gardes nationaux, les cantinières, les gavroches, les civils en armes et les canonniers sur leur affût, qui posaient en groupes pour le photographe devant les débris de la colonne en mai 1871 »
Éric Hazan, L’invention de Paris – Il n’y a pas de pas perdus, Seuil, 2002, pp. 43-45
janvier 1948 – décembre 2003 – mars 2020 – juillet 2022