
Marina Vlady chantait, disait et mettait en scène sa vie et celle de Vladimir Vissotsky. C’était le 25 novembre 2006, la dernière représentation.
Le spectacle est une mise en théâtre de son livre Vladimir ou le vol arrêté. Théâtre. Elle évoque ces Bouffes du Nord où, un soir, Vladimir était assis « là », sur ce banc-ci où il n’y avait encore que des coussins sur les bancs de bois. Cette salle, « tatouée » de nos émotions.

Ce soir-là, à l’évocation des funérailles de Vissotsky, elle a dit qu’elle a voulu déposer sur sa tombe une météorite tombée « en Sidérie », avant de se reprendre : « en Sibérie ».
Dans son livre:
« Une météorite, atterrie en plein centre de la Sibérie, après des millions d’années de voyage, devait symboliser sur la tombe de Vladimir Vissotsky sa brûlante et trop brève vie.
Il n’en a pas été ainsi, malheureusement, mais j’ai appris en 1985 que les astronomes de l’observatoire de Crimée ont baptisé une nouvelle planète découverte entre les orbites de Mars et de Jupiter :
VLADVISSOTSKY
Elle porte le numéro 2 374 dans le catalogue international des planètes.
Souvent, je regarde les étoiles, et je souris en pensant que parmi cette multitude, un petit point brillant vogue dans l’immensité, que ce corps céleste en mouvement perpétuel est lié à jamais au nom de mon mari.
C’est bien ainsi. »
En médecine, nous dit l’encyclopédie, la sidération est la « crise soudaine des forces vitales se traduisant par un état de mort apparente (souvent à la suite d’un très grand choc émotif) ».

Les mots de Marina Vlady renvoient au temps où le théâtre des Bouffes du Nord n’avait pas encore été mis aux normes de sécurité. Un vieux théâtre, où Peter Brook avait attiré ce que Paris comptait d’intelligence et d’art. Carmen ! Qui a découvert, au début des années 1980, l’émotion pure et riche de la voix, sur cette scène si proche devrait en vivre éternellement.
Les rénovateurs du théâtre ont pris le parti d’en conserver les marques, les signaux, laissés par le temps, les dévastations charmantes que la succession des saisons avait déjà infligées aux peintures et aux enduits. Voilà ce qui s’imposa au spectateur quand il entendit Marina évoquer les tatouages de la salle.

À voir, à entendre l’actrice, la chanteuse, la femme, unie au souvenir de sa vie et de son amant et mari, on comprend enfin la place de la poésie et des poètes en Russie.
Ici, à Paris, combien de nous sont infirmes ? Incapables de dire des vers à des inconnus, même si nous avons eu la chance d’avoir subi la subversion de la poésie. Avec Marina Vlady, on entrevoit et on espère une Russie où le poète et son peuple vivent la même vie. Elle nous dit que Vissotski a refusé de s’exiler parce qu’il a besoin d’être là, et qu’il préfère être un exilé de (à?) l’intérieur.
Il parle, à travers Marina, de l’alcool, où il a été plongé par « le marasme ». Il reste de ces phrases désespérées de la femme parlant de son mari malade l’impression que ce marasme est économique, social, patriotique, moral. Vital. Les folies à quoi conduisent les manques, un enfer à portée de la main qui tremble en portant à la bouche tout ce qui, à un titre ou à un autre, apporte l’ivresse en même temps que la destruction. L’ivresse de la destruction.
Ivresses. Des paradis artificiels répondent aux enfers humains. Des jouissances naissent de fruits interdits et désirés, de fleurs des rues inattendues.
Certes, près des Bouffes du Nord, entre Blanche et Pigalle, une autre drogue décrit l’humanité dans ses soifs et ses délires, mais les rencontres adviennent partout dans la ville. Le terrain des reconnaissances s’ouvre au promeneur qui, pour sortir de son marasme personnel part à la recherche.



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