
« Le train des jours est un train qui déroule ses rails devant soi à mesure qu’il arrive. Le fleuve du temps est un fleuve qui emporte avec soi ses rives. Celui qui voyage se meut entre des parois fixes, sur un sol fixe ; mais parois et sol, de manière imperceptible, sont très étroitement associés aux mouvements des voyageurs. C’était une chance inappréciable pour la paix de son âme que cette pensée ne fût pas apparue à Clarisse entre ses autres pensées.
Le comte Leinsdorf lui aussi en était protégé. Il en était protégé par la conviction de faire une politique réaliste.
Les jours ballottaient et formaient des semaines. Les semaines ne restaient pas immobiles, mais se tressaient en longues chaînes. Il se produisait perpétuellement quelque chose. Quand perpétuellement quelque chose se produit, on a vite l’impression d’être réellement efficace. »
Robert Musil
L’ Homme sans qualités
Der Mann ohne Eigenschaften
Traduit de l’allemand par Philippe Jacottet
Le Seuil, éditeur,
collection Points
Tome 1
98. Sur un État qui périt faute de nom.
p. page 559