L’Assemblée nationale « affiche » la Révolution

Affiche

Au Palais Bourbon, en octobre 2019, l’Assemblée nationale a jugé utile d’exposer une sélection d’affiches datant de la Révolution française. Parmi elles, cet « Acte » accompagné d’un cartel précisément rédigé ainsi :

Acte du Corps législatif du 10 août 1792.
l’an 4ème de la Liberté
10 août 1792
« L’Assemblée Nationale déclare que le Roi est suspendu & que lui & sa famille restent en otage ; que le Ministère actuel n’a pas la confiance de la Nation… »

Le 10 août 1792 signe la rupture officielle entre les représentants de la nation et le roi. La France cesse d’être une monarchie.

Dimensions : 52 x 42 cm
Cote : 147-6 ch3-13

Procès verbal

Intéressant contraste entre le cartel, sèchement documentaire, et le document lui-même, humainement vivant, avec cette écriture manuscrite élégante et ferme. Il suffira de peu d’imagination pour entendre les débats et l’intervention d’un membre. La musique aussi de la plume sur le papier.


Avis

Ce que prétend le cartel :

Avis sur les élections
avant le 17 juin 1791

« L’époque est prochaine où les descendants des Francs, Peuple-frère et Peuple libre, […] vont enfin élire pour la première fois des représentants chargés d’émettre en leur nom leur volonté. »

Les clubs patriotiques se multiplient durant la Révolution, notamment avec la volonté pédagogique de diffuser les principes révolutionnaires à travers des débats ouverts à tous. Cette affiche des Amis de la Vérité souligne un moment important de la Révolution : les premières élections législatives qui se déroulèrent du 29 août au 5 septembre 1791.

Dimensions : 53 x 43 cm
Cote : 147-5 ch7-5

Renversant ! Le mouvement révolutionnaire qui va du bas en haut est ici présenté comme un mouvement pédagogique de clubs qui diffusent les principes. Les responsables de l’Assemblée nationale, qui ont piloté l’exposition, réaffirment de la sorte qu’ils ne sont pas les représentants du peuple mais qu’ils considèrent qu’ils l’éclairent en lui inculquant les principes de leur maître, le président de la République. C’est en effet lui qui les a choisis, en application des règles de la Ve République, pour devenir les députés investis par le président dans la foulée de son élection au suffrage universel direct, à vocation bonapartiste.

Cependant, le visiteur de l’exposition peut lire le document lui-même. Tout n’est pas perdu. Comme n’est pas perdu, peut-être, le souvenir de cette époque où le peuple jouissait de ses droits. Ces « droits violés depuis tant de siècles », comme le disent si bien ces Amis de la Vérité qui ont décidé d’ « ouvrir une discussion publique » pour savoir « assurer à jamais la souveraineté nationale », c’est-à-dire la souveraineté populaire.

Un saut dans le temps permettra au visiteur curieux de se rendre rue du Théâtre François, N° 4 pour respirer l’esprit des lieux. Il lui suffira de savoir que cette rue se nomme de nos jours la rue de l’Odéon. Cet Odéon, d’ailleurs, est le successeur du Théâtre Français et son nom, sans doute jugé insuffisant, a été complété par une intéressante précision : « Théâtre de l’Europe ». Ce qui n’est pas « Théâtre de l’Union Européenne », après tout. Mais cela sera-t-il suffisant pour faire oublier que, par un décret de juillet 1789, l’Assemblée nationale avait donné à la salle le nom de « Théâtre de la Nation » ?

Pétition

Ce que précise le cartel :

Pétition à l’Assemblée nationale
14 juin 1791

« … si vous ne faites cesser la démarcation cruelle que vous avez mise dans votre Décret du marc d’argent, parmi les membres d’un peuple-frère… la Patrie est en danger… »

Pétition de protestation contre le décret du marc d’argent, instituant un suffrage censitaire.

Dimensions : 55 x 43 cm

Cote : X 147-6 ch 18-9

Mathiez

La Constitution du 3 septembre 1791 confirmera cependant ce mode d’élection qui élimine le peuple travailleur. Voici ce qu’en dit Albert Mathiez.

La Constitution supprima les privilèges fondés sur la naissance, mais elle respecta et consolida ceux qui étaient fondés sur la richesse. Malgré l’article de la Déclaration des droits qui proclamait : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation », elle partagea les Français en deux classes au regard du droit électoral, les citoyens passifs et les citoyens actifs. Les premiers étaient exclus du droit électoral, parce qu’ils étaient exclus de la propriété, dit Sieyès, qui a inventé cette nomenclature, des « machines de travail ». On craignait qu’ils ne fussent des instruments dociles entre les mains des aristocrates et on ne croyait pas qu’ils fussent capables, étant la plupart illettrés, de participer, si peu que ce fût, aux affaires publiques.

Albert Mathiez 

La Révolution française 

p. 120 de l’édition Bartillat, Paris, 2012 

(première édition, en trois volumes, 1922, 1924 et 1927 chez Armand Colin à Paris)

Quant au « marc d’argent », le livre de Mathiez éclaire, là encore, la question;

Dans le bloc des citoyens actifs, la Constitution établissait de nouvelles hiérarchies. Les assemblées primaires qui se réunissaient dans les campagnes au chef-lieu de canton — afin d’écarter les moins aisés par les frais de déplacement — ne pouvaient choisir comme électeurs au second degré, à raison d’un pour cent membres, que ceux des citoyens actifs qui payaient une contribution égale à la valeur de dix journées de travail. Ces électeurs, qui se réunissaient ensuite au chef-lieu du département comme les délégués sénatoriaux de nos jours, formaient l’assemblée électorale qui choisissait les députés, les juges, les membres des assemblées de département et de district, l’évêque, etc. Mais les députés ne pouvaient être pris que parmi les électeurs qui payaient au moins une contribution directe égale à la valeur d’un marc d’argent (50 francs environ) et qui possédaient en outre une propriété foncière. Dans l’aristocratie des électeurs, on créait ainsi une aristocratie d’éligibles. Les électeurs n’étaient pas très nombreux, 300 à 800 par département. Les éligibles à la députation l’étaient encore moins. À l’aristocratie de la naissance succédait l’aristocratie de la fortune.

Devant les protestations, l’Assemblée resta rigide. Ce n’est qu’après la fuite du roi à Varennes, le 27 août 1791,

qu’elle se résigna à supprimer l’obligation du marc d’argent pour les éligibles à la députation, mais, par compensation, elle aggrava les conditions censitaires que devaient remplir les électeurs désignés par les citoyens actifs. […] Il est vrai que ce décret voté in extremis resta lettre morte. Les élections à la Législative étaient terminées et elles étaient faites sous le régime du marc d’argent.

Le système censitaire ne fut aboli qu’au lendemain du 10 août 1792, dans la foulée de la suspension du roi. Sous la pression de la Commune insurrectionnelle de Paris, l’assemblée nationale décida que l’élection de l’Assemblé qui devait lui succéder, la Convention. se ferait au suffrage universel. Jean Jaurès décrit l’épisode :

Jaurès

Cette convention, c’était, sans qu’on l’annonçât encore clairement, l’avènement de la République, c’était surtout l’avènement de la démocratie. Plus de cens, plus de privilège, plus de distinction injurieuse et bourgeoise entre les citoyens actifs et les citoyens passifs. […] L’Assemblée vota sans débat, et dans la séance même du 10 août, que tous les citoyens de 25 ans seraient électeurs.
« L’Assemblée nationale voulant, au moment où elle vient de jurer solennellement la liberté et l’égalité, consacrer dans ce jour l’application d’un principe aussi sacré pour le peuple, décrète qu’à l’avenir, et spécialement pour la formation de la Convention nationale prochaine, tout citoyen français, âgé de vingt-cinq ans, domicilié depuis un an, et vivant du produit de son travail, sera admis à voter dans les assemblées des communes et dans les assemblées primaires comme tout autre citoyen actif et sans nulle autre distinction. »
Ainsi le suffrage universel était fondé ; et ce n’était pas seulement pour la prochaine Convention nationale, mais pour toutes les manifestations de la vie nationale dans l’infini des temps. Et dès le 12 août, la Convention élargissait encore la base populaire en abaissant l’âge de l’électorat à 21 ans. Elle maintenait 25 ans pour l’éligibilité ; mais elle effaçait, pour l’éligibilité aussi bien que pour l’électorat, toute distinction entre les citoyens actifs et les citoyens passifs.

Jean Jaurès 

Histoire socialiste de la Révolution Française 

Tome II, la Législative 
chapitre V
Le Dix Août
page 636 
Édition Messidor (Éditions sociales)

Esclavage

Les précisions du cartel :

Procès-verbal de la séance de la Convention nationale du 16 pluviôse an II
4 février 1794
Procès-verbal déclarant l’abolition de l’esclavage dans les colonies : « La Convention Nationale déclare que l’esclavage des nègres dans toutes les Colonies est aboli : en conséquence, elle décrète que tous les hommes sans distinction de couleur domiciliés dans les Colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la constitution… »

Les colonies sont bien des colonies et le mot « nègre » n’est pas chargé de connotations afflictives.

Toussaint

Une autre évocation de l’esclavage et de son abolition, à La Rochelle (Charente-Maritime)