mon avenir mort comme celui de la Ville

Cioran

Dans l’onde si calme de la Seine, je vois se refléter mon avenir mort comme celui de la Ville, et j’abandonne au fleuve indifférent ma fatigue tremblante. 

p. 65

Cioran 
De la France 

L’Herne, 2009 
(Écrit en 1941)


La France peut encore faire une révolution, mais sans grandeur, sans originalité et sans écho : en empruntant des mythes aux autres – à l’exemple des communistes français, les seuls à avoir la fibre révolutionnaire –, en rapiéçant des discours à l’aide de vieilles phrases, de rafistolages anarchistes et de désespoirs de petite bourgeoisie qui a perdu la tête. Il faudra, avant qu’elle n’ait totalement épuisé ses possibilités de régénération sociale, que l’ivraie – la populace* – triomphe, qu’elle fasse son apparition. La vie n’existe plus qu’en banlieue*. Une France prolétaire est désormais la seule possible. Sauf que la classe ouvrière n’a ni ressources d’héroïsme ni d’élans renversants. La carrière révolutionnaire de la France est virtuellement terminée. Elle ne peut plus se battre que pour son estomac. L’héroïsme, qui suppose un étrange mélange de sang et d’inutilité, ne peut plus être son oxygène. Jamais un peuple aux instincts en sommeil n’a proposé à l’humanité le moindre idéal, ni même des bribes de foi. Une intelligence en éveil, mais sans le soutien de la vitalité, devient l’instrument artificiel des petits faits quotidiens, de la chute dans une médiocrité sans remède. 

p.73

Les mots suivis d’un * sont en français dans le manuscrit. Les mots en intalique sont soulignés par l’auteur dans le manuscrit.