Rue des Volontaires, le Glaive et la Croix

Pavillon

13 mai 2014 – Tu marches dans la rue des Volontaires. La croix de Malte qui flotte au-dessus du numéro 42 te fait oublier l’anniversaire du coup d’État de 1958 mais t’ouvre l’horizon des guerres humanitaires. 

Derrière les murs, sous les marronniers, une institution au nom bénin bien que mystérieux : l’ « Ordre de Malte ». Une version développée parle plus clairement : « Ordre souverain, militaire et hospitalier de Saint-Jean-de-Jérusalem de Rhodes et de Malte ». 

Le commandement suprême de cette légion étrange, à Rome, via dei Condotti, y envoie ses directives, instructions, ordres, comme à ses affiliés du monde entier. Là-bas mieux qu’à Paris, le grand maître de l’Ordre exerce son magistère multidimensionnel. Il le fait de manière indépendante, en ne tenant compter que de ses propres objectifs et intérêts, comme il sied à un souverain. Le pape catholique a, en effet, reconnu à l’Ordre les prérogatives d’un « sujet de droit international dans ses rapports avec les États ». Son gouvernement, installé dans Rome, y jouit donc du privilège d’extraterritorialité. 

Cette organisation, qui refuse d’être qualifiée de « non gouvernementale », a pratiquement inventé, à l’occasion des Croisades, le concept d’action humanitaire en temps de guerre. L’action violente contre les Infidèles et les « services après-vente ». La mort pour les uns, le secours charitable pour ceux qui ont survécu. La paix éternelle pour tous.

Paul
Malte, où Saint Paul brandit dans une église de Mdina le Glaive et la Croix, modèle mondial des actions « humilitaires ».

18 mai 2014 – Tu penses à tous ces bénévoles, ces… Volontaires de la rue qui, à l’humanité souffrante des cités, espèrent apporter secours et amour. Savent-ils, lorsqu’ils arborent la croix à huit pointes, de combien d’épées elle s’est armée au cours des siècles ?

21 mai 2014 – Tu lis dans une « Histoire de l’ordre de Malte » écrite par un capitaine de frégate de réserve, Bertrand Galimard Flavigny, que « tout au long du XIVᵉ siècle, orphelin de la Terre sainte, l’Ordre ne désespéra pas de raviver l’esprit de croisade en Occident et œuvra sans relâche, mais en vain, auprès de la papauté et des diverses cours d’Europe ». Et tu te demandes s’il continue de nos jours. 

Ce serait logique, dans une histoire dont les premiers vagissements remontent au XIᵉ siècle, quand des marchands italiens venant d’Amalfi ont obtenu du calife Ma’ad al-Mustansir Billah la permission de fonder un hospice pour soigner et pour héberger les chrétiens devant le Saint-Sépulcre, à Jérusalem. 

La longue histoire des croisades s’est soldée, pour les Hospitaliers de Saint-Jean, par leur éviction et par leur exil à Rhodes puis à Malte, après bien des pérégrinations aventureuses.

La gloire des Chevaliers, durant des âges farouches, tenait autant, sinon plus, à leur ardeur au maniement des armes qu’à celui des flacons de médicaments. 

Ainsi, raconte Galimard Flavigny (p133), « cinquante ans après la chute d’Acre (1291), l’invasion musulmane des Égyptiens menaçant, le roi d’Arménie fit appel au grand maître des Hospitaliers, alors Hélion de Villeneuve (1319-1346), mais ce dernier devait mourir peu après. Son successeur, Dieudonné de Gozon, s’élança, malgré son grand âge, au secours du “royaume ami”. “Le combat fut long et opiniâtre, écrit Bosio, le premier historien de l’ordre. Les Sarrasins ne croyaient d’abord avoir affaire qu’aux Arméniens ; mais lorsqu’ils s’aperçurent de la présence des chevaliers de Rhodes, ils leur tournèrent le dos.” C’est ainsi que Gozon prendra le nom de “protecteur de l’Arménie”. »

23 mai 2014 – Tu consultes l’Encyclopædia Universalis, qui te confirme que « les croisades en Orient amenèrent la création de plusieurs hôpitaux : ainsi, à Jérusalem, l’hôpital Saint-Lazare pour les lépreux, l’hôpital Saint-Jean pour les pèlerins. L’un et l’autre donnèrent naissance à des ordres qui, plus ou moins vite, devinrent en même temps des ordres militaires. De la même manière, un hospice fondé en 1143 pour les Allemands s’organisa ensuite sur le modèle de l’ordre de Saint-Jean en y ajoutant les prescriptions militaires de l’ordre du Temple ; ce fut l’ordre Teutonique ». 

Tu vois que les chevaliers « se recrutaient exclusivement parmi les plus nobles familles catholiques de l’Europe », et qu’ils « devaient prononcer le triple vœu de chasteté, d’obéissance et de pauvreté et s’engager à défendre perpétuellement l’Église sans jamais “abaisser la bannière”, demander quartier, reculer ou se rendre ».Par ailleurs, l’Ordre possédait dans toute l’Europe « des domaines ou commanderies, groupés en bailliages et en grands prieurés. Ces domaines fournissaient à l’ordre les ressources dont il avait besoin pour vivre et pour lutter contre les infidèles ».

27 juin 2014 – Tu te demandes de quelles ressources vit cette organisation qui, en France, emploie 1 746 salariés et qui a brassé en 2012 un budget de 80 millions d’euros. En consultant ses comptes pour la même année, tu apprends que les collectes « auprès du public » ont rapporté un peu plus de 18,5 millions et que les « subventions et autres concours publics » ont atteint près de 49 millions. 

Alors tu te dis que cette association « Les Œuvres Hospitalières Françaises de l’Ordre de Malte », dite « Ordre de Malte France », fondée en 1927 et reconnue d’utilité publique en 1928, est largement financée par la République. Elle l’est d’autant plus que les dons bénévoles donnent droit à des réductions d’impôts, ce qui revient à une subvention surnuméraire. L’Ordre informe charitablement ses donateurs que s’ils versent, par exemple, 50 euros, cela ne leur coûte que 12,5 euros, s’ils sont imposables. 

Ces pratiques ont cours dans une République où la séparation des Églises et de l’État est la loi et malgré l’allégeance formelle de l’association à l’Ordre Souverain Militaire et Hospitalier de Saint Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte dont le siège est à Rome, où elle jouit de son paradisiaque statut d’extraterritorialité. 

Malte-Cuba

De Malte à Cuba