Le 19 décembre 2014, une dépêche d’agence expédiée de Varsovie rappelait que deux îles, Cuba et Malte, étaient peut-être des îles géographiques mais que les États du monde étaient leur océan familier, leur geôle à géométrie variable. C’est dans cette Pologne si souvent déchirée par les empires qu’un ancien représentant de l’Ordre de Malte à La Havane, Przemyslaw Hauser, a tenu à faire savoir que sa formation militaire extraterritoriale et accessoirement humanitaire, a joué un rôle dans le rétablissement des relations diplomatiques entre les États-Unis d’Amérique et la République de Cuba.
Homme d’affaire, Hauser était en poste à La Havane de 2007 à 2011 pour le compte de l’Ordre souverain militaire hospitalier de saint Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte. Il participait, a-t-il dit au quotidien polonais Rzeczpospolita, à l’activité du Vatican pour obtenir que le régime respecte les droits de l’homme. Sous-entendu, respecte aussi les droits de l’homme commercial et de la concurrence libre et non faussée. Mais cet aspect des négociations n’est guère évoqué dans les discours comme ceux du pape catholique qui, en 1998, à La Havane, a harangué la foule au nom de son dieu et de son église.
Cuba vivait alors cette « période spéciale » où, après la chute de l’URSS la population survivait à peine aux conséquences tragiques d’une crise économique épouvantable. La fin de la vente du sucre à prix préférentiel à Moscou a répandu alors la pénurie puis la misère puis une quasi famine, le tout aggravé par le blocus économique où les États-Unis et leurs alliés avaient enfermé l’île.
Est venue plus tard une période moins dure, celle où le Venezuela a pris, en quelque sorte, le relais de l’URSS. Ce pays a reconquis sa souveraineté nationale et a participé au vaste mouvement qui, en Amérique latine, a repoussé peu ou prou l’influence dévastatrice du grand voisin du nord. Selon Hauser, cependant, avec la mort de Chavez, en 2013, « il est devenu clair que le Venezuela n’allait pas financer éternellement Cuba avec ses livraisons de pétrole de facto gratuites ». Un point de vue quasi polémique mais assez proche d’une vérité potentielle pour que les dirigeants de Cuba l’intègrent dans leur calcul du rapport des forces international.
Dans les forces à prendre en compte, bien entendu, les États-Unis, eux-mêmes confrontés à leur perte d’influence. La situation dans l’île, également, surtout sur le plan économique et social. Des tractations ont donc eu lieu et, le 17 décembre 2014, les deux gouvernements annonçaient simultanément le rétablissement de relations diplomatiques. Avec au passage la libération de prisonniers dans les deux pays.
Que cherchait Washington, dans cette initiative ? Kerry, son Secrétaire d’État, déclarait le 19 décembre 2014 que « non seulement cette politique [menée jusqu’alors vis-à-vis de Cuba] n’a pas réussi à faire progresser les objectifs de l’Amérique, mais elle a en fait isolé les États-Unis, au lieu d’isoler Cuba ». Le même jour, Obama, son président, affirmait que « ces cinquante années ont montré que l’isolement ne fonctionnait pas. Il est temps d’adopter une nouvelle approche ».
La rhétorique diplomatique a donné trop d’exemples de mensonges pour que les paroles des chefs des États-Unis soient crues sans autre forme d’examen. Par exemple, il ne fait pas de doute que sur le marché mondial des sources d’énergies, l’exploitation des gisements de schiste aux États-Unis bouleverse la donne, fait chuter les prix du pétrole et du gaz et affaiblit en conséquence la Russie autant que le Venezuela. Indirectement, Cuba est touchée et conduite à plus de souplesse.
C’est dans ce contexte que l’ordre de Malte et le Vatican sont intervenus. Hauser les présente comme des initiateurs. Normal pour qui proclame urbi et orbi que « au commencement était le verbe ». Mais les États avaient fait leur comptes. Il leur fallait des intermédiaires pour négocier. L’Église catholique fit partie de ces truchements. Et notre homme d’affaire malto-polonais a pu dire sans mentir « qu’il fallait se prémunir contre une grande crise économique à travers une coopération économique plus étroite avec les États-Unis » en rappelant la visite à Cuba du pape catholico-polonais Jean-Paul II en 1998. Notre chevalier de Malte ne ment pas non plus lorsqu’il dit que, « par la suite, l’activité de la diplomatie vaticane a été énorme, surtout celle du nonce apostolique à Cuba depuis 2007, Giovanni Angelo Becciu, devenu plus tard secrétaire d’État adjoint du Saint-Siège ». Représentant de l’Ordre qui a inventé l’action humanitaire à l’occasion de ses opérations militaires en Palestine, Hauser a souligné que « les motivations de l’Église étaient avant tout d’ordre humanitaire […] dans le but d’obtenir la libération des prisonniers ».
Voilà comment l’ordre de Malte, un des plus discrètement idéologues de la troupe des institutions de l’Église catholique, sait se montrer très apte à pratiquer la realpolitik, qui est la politique. Doté d’un statut d’extraterritorialité par le Vatican, il sait reconnaître avec exactitude le rôle des États et tente toujours de jouer les uns contre les autres (ou les uns avec les autres, contre d’autres encore) pour tenter de donner un rôle mondial dirigeant à l’Église militante.
Précurseur parmi les précurseurs, cet ordre essentiellement militaire à ses débuts lors des croisades contre les méchants, a su se montrer gentil organisateur de l’action humanitaire en soignant tous ceux, sans distinction de religion, dont il avait fait périr les proches autour de Jérusalem.
Et à Paris.