
CHAPITRE LV
En pleine mer, nous banquetans, gringnotans, divisans et faisans beaulx et cours discours, Pantagruel se leva et tint en pieds pour discouvrir à l’environ. Puys nous dist :
« Compaignons, oyez vous rien ? Me semble, que je oy quelques gens parlans en l’air, je n’y voy toutesfoys personne. Escoutez ! »
À son commandement nous feusmes attentifz, et à pleines aureilles humions l’air comme belles huytres en escalle pour entendre si voix ou son aulcun y seroit espart, et, pour rien n’en perdre, à l’exemple de Antonin l’Empereur, aulcuns oppousions nos mains en paulme darrière les aureilles. Ce neanmoins protestions voix quelconques n’entendre.
Pantagruel continuoit, affermant ouyr voix diverses en l’air tant de hommes comme de femmes, quand nous feut advis, ou que nous les oyons pareillement, ou que les aureilles nous cornoient. Plus perseverions escoutans, plus discernions les voix, jusques à entendre motz entiers. Ce que nous effraya grandement, et non sans cause, personne ne voyans et entendens voix et sons tant divers, d’hommes, de femmes, d’enfans, de chevaulx si bien que Panurge s’escria.
« Ventre bieu ! Est ce mocque ? Nous sommes perdus. Fuyons ! Il y a embusche autour. Frère Jan es-tu là mon amy ? Tiens-toy près de moy je te supply ! As tu ton bragmart ? […]. »
Rabelais
Le quart livre des faicts et dicts héroïques du bon Pantagruel
P. 689 de l’édition de la Pléiade