
Cette photo vaut bien une légende, sans doute. À la tribune, de gauche à droite, Barroso, haut fonctionnaire, président de la commission européenne jusqu’en 2014 ; Moubarak chef de l’État d’Égypte, renversé en 2011 ; Sarkozy, chef de l’État de France, non reconduit en 2012 ; Ban Ki-moon, secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies jusqu’en 2016.
Très à gauche, près de la tribune, sur une chaise ajoutée pour lui au dernier moment, à sa demande pressante, Kouchner, ministre épisodique en France, regardant derrière lui.
DES METTERNICH ECTOPLASMIQUES
SE PARTAGENT UN MIRAGE
Spectacle. Que retiendra l’Histoire d’une de ces réunions, que personne n’ose plus appeler conférence ou congrès, que le président Sarkozy a organisée à Paris le 13 juillet 2008 ? Un nom ? « Sommet pour la Méditerranée »…
« Sommet ». Avec ce terme neutralisé, générique, indifférencié, peu de chance de marquer le destin !
« Pour la Méditerranée » ! Là, une petite chance : le ridicule ne tuera pas les auteurs de cette formule qui ont fait enfin comprendre à l’humanité que notre mer nourricière avait besoin que des dizaines de chefs d’États se prononçassent en sa faveur !

Quelques notations délibérément soumises à l’impressionnisme du dilettante. Marquées du syndrome « Fabrice à Waterloo », elles peuvent éclairer d’un jour intime un événement peu fait pour rester dans l’Histoire, malgré un apparat digne du Congrès de Vienne.
Le texte du discours de Sarkozy, distribué à la presse pendant que parlait le président, selon la coutume, comportait, autre coutume de ces temps attentifs aux médias, la mention : « Seul le prononcé fait foi ». Et en effet, comment se fier à ces phrases alignées laborieusement par les conseillers de l’Élysée, dans le secret des bureaux et des intrigues ?
La conclusion, presque parodiquement universitaire ou plombée par un hommage obligé à la culture littéraire du quai d’Orsay, comportait une citation trop belle de la trop belle Antigone : « Je suis venu (sic) pour partager l’amour, non pour partager la haine ». Le président s’est bien gardé de prononcer cette apostrophe, sans doute soufflée par Henri Guaino. Antigone revue guimauve… Un assez bon résumé d’un « sommet » qui accoucha d’une musaraigne.
La petite bête qui est finalement sortie de ce sommet de la diplomatie spectaculaire mérite qu’on l’examine… à la loupe. Elle fut présentée au cours de l’inévitable conférence de presse de clôture. Signe des temps, le texte a été distribué aux journalistes dans sa version anglaise. Une manière de signifier la dimension prise par la diplomatie française en ce siècle.
D’ailleurs, le ministre qui la dirige a montré son rang. Sur la photo et sur la petite chaise qu’il a obtenue pour lui aussi paraître, lors de la conférence… de la presse.
Spectacle… Les élites s’opposent de plus en plus à la réalité de ce que les peuples attendent de leurs élus. Sous les projecteurs, devant la presse assemblée, ces gens s’agitent et racontent eux aussi…

À quelques mètres de la scène où seproduisent les acteurs, les journalistes qui couvrent l’événement pourraient aussi bien avoir été parqués à cent kilomètres.
Seules quelques personnalités sans responsabilités étatiques ont fait le déplacement pour rencontrer les journalistes dans la salle de presse.

Barroso, par exemple, le président de la commission européenne. Ou le président du parlement européen, ou bien encore Dominique Baudis, président de l’Institut du Monde Arabe.

« … a tale
Told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing… »
Ils semblent vouloir donner raison à Debord, apparemment l’idéologue qu’ils peuvent comprendre, celui qui est devenu le plus utile à cette caste qui a inventé un terme pour se désigner elle-même : la classe politique. Et cette prétendue classe, dont les assises économiques et sociales dans la vie réelle sont de plus en plus évanescentes, donne un spectacle, se donne en spectacle. Une tragédie à la petite semaine se joue au bord de la Seine pendant que la guerre ravage le Tigre et l’Euphrate.
Car quels sont les résultats de ce sommet grandiose ? Le lieu du secrétariat de l’Union pour la Méditerranée n’a même pas pu être décidé ! Mais on a pu promettre la création d’une université en Slovénie…
… l’université de Portoroz déjà inaugurée, un mois avant.



