
Si vous quittez la rue Bonaparte pour aller vers la rue de Seine, vous pouvez passer par la rue Visconti. Son nom ancien est plus imagé : rue des Marais. Encore plus, s’il est complet rue Marais-Saint-Germain.
La rue est étroite et vous levez le nez. Vous apercevez des inscriptions sur les façades. Lapidaires par construction, elles sont allusives et ne parlent, pratiquement, qu’à ceux qui, déjà, savent un peu de quoi il est question.

Qui a lu le Balzac de Stefan Zweig et a donc savouré « Le roman de sa vie » pourra relire une des aventures qui eurent cette rue pour théâtre.
Voici :
[En 1826], « les autorités compétentes établissent pour M. Honoré Balzac (le Honoré “de” Balzac n’a pas encoré été inventé) la licence officielle d’exercer le métier d’imprimeur.
Avec ce brevet en mains, il n’est pas difficile de découvrir une imprimerie à vendre. Dans la rue des Marais, une petite ruelle sombre de la rive gauche (devenue plus tard la rue de Visconti) se trouve, à côté de la maison où moururent en 1699 Jean Racine et en 1730 Adrienne Lecouvreur, au rez-de-chaussée, une petite boutique d’imprimeur, une véritable “presse” comme on dit dans le jargon du métier. »


« Il prend vraiment au sérieux son nouveau métier. Depuis le matin, jusque tard dans la nuit il se tient en bras de chemise, le col ouvert, fumant sous l’effort, dans l’atelier torride tout plein de vapeurs d’huile et de papier humide, au milieu de vingt-quatre ouvriers, et lutte comme un gladiateur pour donner sans cesse aux sept presses d’imprimerie leur pâture. Pas de travail qui soit trop humble pour lui, pas de besogne qu’il écarte comme indigne de lui par vanité littéraire. Il corrige les placards, il aide à la composition, il fait les devis, il écrit de sa propre main les comptes (certains ont été conservés jusqu’à ce jour). Sans trêve sa silhouette, qui déjà s’épaissit, se fraye un passage à travers les machines et les balles de papiers encombrant la pièce, tantôt pour stimuler un ouvrier, tantôt pour aller, les mains encore noires d’huile et d’encre, dans le petit réduit vitré discuter sou à sou avec les libraires et les fournisseurs de papier au milieu du tumulte des presses qui ne cessent de gémir, de grincer, de faire un bruit de ferraille. Et personne de ceux qui, en ces années, s’adressent pour une commande ou pour une créance au patron d’imprimerie costaud et bien bâti, n’a jamais eu a moindre idée que ce petit bonhomme grassouillet, sans cesse en mouvement, si actif dans son travail, avec ses cheveux sales en désordre et son immense bagout pouvait être ou devenir le plus grand écrivain de son temps. »

Balzac ruiné, l’imprimerie ressuscita ou, plutôt, eut une descendance.
Les affaires allaient mal. Pas assez de commandes, d’anciennes dettes à payer, mettent Bazac en difficulté. Il essaie d’en sortir en créant une extension de l’imprimerie : une fonderie de caractères.
Mais, en 1828, la faillite est déclarée, malgré le secours que Mme de Berny, la fidèle amante, a apporté à l’entreprise. Elle qui a engagé quarante-cinq mille francs reçoit la typographie-fonderie comme indemnité et elle la cède à son fils, Alexandre de Berny.
Gérée selon l’esprit pratique et patient du commerce, l’entreprise commence à prospérer puis devient l’entreprise de fonderie de caractères Balzac-Deberny et Terrier, Alexandre ayant rendu la particule plus discrète.
Bien des années plus tard, en 1923, une fusion acquisition donne naissance à la fonderie Deberny & Peignot. Devenue une gloire de la typographie française, elle fermera malgré tout ses portes, alors situées rue Ferrus, en 1972.
janvier 1948 – mai 2014 – décembre 2014 – avril 2020 – juillet 2022