
Palais de justice ? Tribunal judiciaire de Paris ? Quoi que soit son nom, ce monument de la mystérieuse transparence des lois et de leurs applications absconses a été inauguré le 1er avril 2019, après avoir poussé au bord de l’ancienne route de la
Révolte.
D’antiques fourches patibulaires ont trouvé une réincarnation métallique et articulée.

Grâce à elles, sa construction a donné un spectacle gratuit aux habitants du quartier de Batignolles. Une manière d’accentuer la vocation de mise en scène des procédures judiciaires et policières de tout un ensemble immobilier : L’Odéon, théâtre de l’Europe, occupe un des bâtiments jadis affecté aux décors de l’Opéra de Paris. Le reste de ces bâtiments conserve sa fonction, sous des masses pluridécénales de poussière.
En outre, naturellement, le bâtiment réservé à la police, nouveau lui aussi mais plus austère. Les images de la construction semblent afficher la préméditation des tours pendables cuisinés pour les justiciables.

En rendant leurs arrêts, les juges auront-ils en mémoire la ballades des pendus ?
L’ÉPITAPHE DE VILLON
EN FORME DE BALLADE
Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, se pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça dévoree et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fumes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grace ne soit pour nous tarie,
Nous preservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, ame ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a bués et lavés,
Et le soleil dessechés et noircis ;
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis ;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés a coudre.
Ne soyez donc de notre confrerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jesus, qui qui sur tous a maîtrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’avons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

C’est à la place de l’ancienne gare de triage des Batignolles, là où les locomotives s’aiguillaient sur une plaque tournante, qu’une architecture savante et spectaculaire trace les chemins des futurs condamnés. Au XIXᵉ siècle, on allait pour dettes à la prison de Clichy. Au XXIᵉ siècle, la porte de Clichy se fermera sur les punis, qu’ils soient coupables ou responsables ou irresponsables.
L’immeuble a été construit sur des plans de Renzo Piano, le talentueux concepteur du Centre Pompidou, à Beaubourg. En y prévoyant un hectare de « terrasses arborées », l’architecte avait-il en tête des potences ou autres instruments de pendaison ? Savait-il qu’à deux pas de ces bois de justice suspendus serait construit le sympathique bâtiment où œuvre la Direction régionale de la Police judiciaire ? Lui a-t-il été dit qu’au pied de la maison des juges, procureurs, huissiers et gardiens divers se trouverait un « centre de tri des déchets recyclables » ?
Tout s’est mis en place pour aiguiller les cinq mille « usagers » que la sage administration a prévu de traiter dans cet élégant monument, haut de cent soixante mètres.


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