À Ménilmontant

Rue

En haut de la rue de Ménilmontant, presque au coin de la rue des Pyrénées, une élégante construction. C’est une maison édifiée en 1770 pour Nicolas Carré de Baudouin. Le style palladien rend compte de la mode des « folies », ces maisons construites dans la campagne qui alors entourait Paris. Aristocrates et riches bourgeois s’y reposaient et s’y livraient souvent à des occupations que la raison officielle ne voulait point connaître.

Maison de Nicolas Carré de Baudouin, rue de Ménilmontant, juin 2008

Au XIXᵉ siècle, la maison fut consacrée à d’autres folies. Pensionnat pour jeunes filles, ce palais aimable abrita les rêves qu’il ne pouvait manquer de susciter dans des âmes atteintes de folle jeunesse.

Puis d’autres folies frappèrent le lieu, auquel un bâtiment plus austère fut adjoint et qui devint un orphelinat.

Au début des années 1950, la statue d’un Christ ou d’un autre personnage religieux protégeait le saint lieu. Elle avait était nichée dans la façade de l’immeuble trist, sans doute pour rassurer les gens qui venaient y déposer des fardeaux trop lourds pour eux et pour leurs misères physiques et morales.

119

Le 15 décembre 2001, l’orphelinat du 119 était toujours là.

Il avait changé de nom et peut-être de fonction, de destination. C’était désormais un centre éducatif, sans doute pour des enfants en difficulté, comme on dit maintenant. Des enfants plus ou moins abandonnés.

Derrière les hauts murs, qui paraissaient aussi élevés que ceux qui marquent une enfance, la statue religieuse, au centre de la façade, assurait encore de sa protection les malheureux réfugiés dans l’institution, enfants ou adultes. Les bonnes sœurs à cornettes, étaient censées remplacer les mères, retenues ailleurs par d’autres occupations. Pouvaient-elles éprouver, plus que leurs petits enfants de substitution, les joies de la vie terrestre?

Île Saint Louis, janvier 2018

Là, « tout au long des jeudis sans fin », souvent les dimanches aussi, ces drôles de choses déposées dans cet endroit en attendant des jours meilleurs, espéraient dans la cour qu’un représentant du vaste monde vienne les chercher ou simplement les voir. Un retentissant « Parloir ! » se faisant entendre de temps à autres, précédé du nom de famille de l’heureux provisoire qui, enfin, était appelé pour une visite ou pour une sortie.

La cour en terre battue donnait sur un atelier de métallurgie, en contrebas. Les heures se passaient à regarder les copeaux d’acier sortir des machines-outils que manœuvraient les tourneurs en blouses, grises comme celles des écoliers. Les garçons attentifs observaient avec avidité ces signes d’un monde riche en mystères. Ils pouvaient aussi trouver dans la terre des morceaux de films au format huit millimètres où un visage de femme à vingt exemplaires fournissait la matière de rêves secrets et profondément émouvants.

Le monde aperçu les jeudis était sans doute celui de l’amour, une terre inconnue. À découvrir ? À conquérir ? Un mystère. Un nombre infini d’indices infimes permet peut-être de l’éclaircir et de reconstituer ce qu’on croit avec ferveur être une aptitude humaine.

Dans L’idiot du village, Patrick Rambaud décrit des aventures solitaires où se retrouvent des impressions communes à celles qui ont pu marquer les enfants de Ménilmontant : « Mes après-midi de pseudo-liberté, les jeudis et les dimanches, je traîne dans le grand appartement en construisant des épopées pour moi seul. Je choisis les objets et les rêves au détriment des êtres. » (Grasset. p. 183)

janvier 1948 – avril 2003 – décembre 2019 – juillet 2022